Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/311

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me caressait et me déchirait délicieusement, une voix étrange, un peu barbare et qui chantait. Je ne sais combien je fus de temps sans pouvoir parler. Le salon s’était rempli à mon insu. Je me trouvai à côté d’un monsieur Milsent qui me plaisait assez et avec qui j’étais en confiance. Il me serait impossible de dire quels sujets il toucha d’abord et comment il en vint à parler de la princesse Bagration ; la suite de la conversation, par contre, m’est restée présente. Apprenant que je n’avais jamais entendu parler d’elle, il m’en montra sa surprise. Pour lui, il n’en savait que ce que tout le monde en disait et qu’il résuma.

— C’est une princesse russe, séparée de son mari toujours en voyage. Elle vit, me dit-il, à Paris avec sa mère, qui boit de l’éther et que personne n’a vue. On leur croit de la fortune, mais on doute qu’ils soient de vrais Bagration. La princesse fait de la sculpture. Sa vie est mystérieuse. Comment la trouvez-vous ?

Je ne pus répondre. M. Milsent reprit :

— Eh bien, puisque vous êtes présenté, allez la voir. Elle reçoit tous les jours dans son atelier de la rue Basse-du-Rempart, à partir de cinq heures. On y voit des figures très