Page:Anatole France - La Vie en fleur.djvu/350

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avec une entière confiance, un abandon complet et ce besoin de me livrer que j’éprouvais ardemment avec elle. Pour elle, elle conversait de ce qui la concernait, sans embarras, sans gêne aucune, mais elle était bien loin de tout dire et je sentais que, dans ses confidences les plus abandonnées, elle réservait une grande part de sa vie, de ses sentiments et de ses actions. C’était par prudence, sans doute ; c’était aussi, je crois, qu’elle était détachée, au delà de ce qu’on peut imaginer, du passé et de l’avenir, et que pas une femme ne bornait comme elle la vie au moment présent. Elle devait à cette disposition la paix du cœur. Elle ignorait les regrets et ne connaissait pas l’inquiétude. C’était une âme sereine comme le calme des mers.

Le fiacre s’arrêtait devant le 18 de la rue d’Assas. Quand on avait encore quelque chose à se dire, je renvoyais le cocher et montais jusqu’au troisième étage où était le petit appartement de Jeanne. Pour y parvenir on sonnait, mais de se faire ouvrir la porte cochère, là était l’œuvre, là était le labeur, comme dit Virgile. Après des efforts opiniâtres, à force d’agiter la sonnette et de frapper la porte du