Page:Anatole France - La Vie littéraire, III.djvu/29

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cement. Les principes nous manquent en toutes choses et particulièrement dans la connaissance des ouvrages de l’esprit. On ne peut prévoir aujourd’hui, quoi qu’on dise, le temps où la critique aura la rigueur d’une science positive et même on peut croire assez raisonnablement que cette heure ne viendra jamais. Pourtant les grands philosophes de l’antiquité couronnaient leur système du monde par une poétique, et ils faisaient sagement. Il vaut mieux encore parler avec incertitude des belles pensées et des belles formes, que de s’en taire à jamais. Peu d’objets au monde sont absolument soumis à la science, jusqu’à se laisser ou reproduire ou prédire par elle. Sans doute, ud poème ne sera jamais de ces objets-là, ni un poète. Les choses qui nous touchent le plus, qui nous semblent les plus belles et les plus désirables sont précisément celles qui demeurent toujours vagues pour nous et en partie mystérieuses. La beauté, la vertu, le génie garderont à jamais leur secret. Ni le charme de Cléopâtre, ni la douceur de Saint François-d’Assise, ni la poésie de Racine ne se laisseront réduire en formules et, si ces