Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/148

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l’imaginer jeune fille, blonde, rose et blanche, telle que je la vis. Puisque vous avez bien voulu être mon guide, je dois vous dire, chère madame, quels sentiments m’a rappelés cette tombe devant laquelle vous m’avez conduit. Les souvenirs se pressent dans mon âme. Je suis comme un vieux chêne noueux et moussu qui réveille des nichées d’oiseaux chanteurs en agitant ses branches. Par malheur la chanson de mes oiseaux est vieille comme le monde et ne peut amuser que moi.

— Contez-moi vos souvenirs, me dit madame de Gabry. Je ne puis lire vos livres qui sont faits pour les savants, mais j’aime beaucoup à vous entendre, parce que vous savez donner de l’intérêt aux choses les plus ordinaires de la vie. Et parlez-moi comme à une vieille femme. J’ai trouvé ce matin trois fils blancs dans mes cheveux.

— Voyez-les venir sans regret, madame, répondis-je : le temps n’est doux que pour ceux qui le prennent en douceur. Et quand, dans plusieurs années, une légère écume d’argent brodera vos bandeaux noirs, vous serez revêtue d’une beauté nouvelle, moins vive, mais plus touchante que la première, et vous verrez votre mari admirer vos