Page:Anatole France - Le Crime de Sylvestre Bonnard, 1896.djvu/212

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de la semaine. Bien que dans l’âge du détachement, je tiens encore par mille liens à la société dans laquelle j’ai vécu. Je préside des académies, des congrès, des sociétés. Je suis accablé de fonctions honorifiques ; j’en remplis jusqu’à sept bien comptées dans un seul ministère. Les bureaux voudraient bien se débarrasser de moi, et je voudrais bien me débarrasser d’eux. Mais l’habitude est plus forte qu’eux et que moi, et je monte clopin-clopant les escaliers de l’État. Après moi, les vieux garçons de bureau se montreront entre eux mon ombre errant dans les couloirs. Quand on est très vieux il devient extrêmement difficile de disparaître. Il est pourtant temps, comme dit la chanson, de prendre ma retraite et de songer à faire une fin.

Une vieille marquise philosophe, amie d’Helvétius en son beau temps, et que je vis fort âgée chez mon père, reçut à sa dernière maladie la visite de son curé qui voulut la préparer à mourir.

— Cela est-il si nécessaire ? lui répondit-elle. Je vois tout le monde y réussir parfaitement du premier coup.

Mon père l’alla voir peu de temps après et la trouva fort mal.