Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/150

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être surpris que Racine parlât alors avec ce détachement. Hélas ! ce que nous aimons dans les autres, ce n’est pas eux-mêmes. Les êtres ne valent pour nous qu’en raison des rapports qui les unissent à nous. Ces rapports changent dans la suite de la vie, et nos sentiments changent avec eux.

Nous avons dit qu’en 1670 Racine travaillait à Bérénice. Le sujet de cette tragédie avait été choisi par la jeune duchesse d’Orléans, qui l’avait donné en même temps à Corneille et à Racine. Elle s’occupait des choses de l’esprit ; elle avait décoré d’une de ses larmes royales la première représentation d’Andromaque ; elle aimait la muse de Racine, jeune comme elle et fraîche comme ses plus anciens souvenirs.

Henriette voulait que la poésie consacrât la mémoire, délicatement voilée, du temps où elle avait porté à Fontainebleau « la joie et les plaisirs[1] » de ces bains dont elle revenait à cheval, accompagnée du roi et suivie de toutes les dames « habillées galamment, avec mille plumes sur la tête », de ces promenades de nuit en calèche, autour du canal, au bruit des violons. Le roi avait alors commencé de l’aimer, et <t elle eût été bien aise qu’il eût conservé pour elle une sorte d’attachement qui, sans avoir la violence de l’amour, en eût eu la complaisance et l’agrément[2] ».

Il lui plaisait de faire revivre dans un ouvrage de théâtre ces beaux sentiments et ces aventures innocentes. Ou du moins elle voulait que ce roi, que bien

  1. Mme  de la Fayette, Histoire d’Henriette d’Angleterre.
  2. Mme  de la Fayette, Histoire d’Henriette d’Angleterre.