Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/163

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dant quelque temps. Il écrivit à M™0 de Maintenon une lettre suppliante, l’épia, la vit furtivement dans une allée de Versailles. Elle lui dit : « C’est moi qui suis cause de votre malheur. Laissez passer ce nuage, je ramènerai le beau temps. » Racine répondit avec une tristesse résignée et cette sorte de divination douloureuse des hommes dont la vie est usée et va finir. On entendit le bruit d’une calèche. « Voici le roi ! dit vivement Mme de Maintenon, cachez-vous. » Racine se sauva dans un bosquet. Ce fut la dernière blessure que reçut ce cœur si habile à la souffrance et à l’inquiétude. Dans l’automne de l’année 1698, Racine sentit une douleur au côté droit. Une tumeur se forma près des côtes. Un matin qu’il lisait dans son cabinet, il eut un grand mal de tête : il descendit dans sa chambre et dit à ses enfants : « Je crois que j’ai un peu de fièvre, mais ce ne sera rien, je vais pour quelque temps me mettre au lit. » Il ne se releva plus. La maladie fut longue. Cet homme dont le moindre malaise irritait les sens délicats supporta cette fois avec une douce patience des douleurs aiguës. Bien qu’il eût eu jusque-là cette peur de mourir qui tourmente surtout les êtres d’une imagination vive, il vit la mort sans effroi quand il la vit de près. C’est là un exemple de ce que les prêtres nomment la grâce d’état. Il avait la foi. C’est dans la mort que triomphe le christianisme. Comme il ne conduit tous les actes de la vie qu’en vue du dernier, il a pour celui-là des ressources souveraines.

Racine, en vue de sa fin prochaine, prit soin d’assurer quelque argent à sa famille et voulut qu’on récla-