Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/18

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À un mois de là, il mourut, et Marguerite coiffa, à trente-trois ans, le chaperon des veuves.

Toutes ses pensées allaient alors à ce frère qui lui semblait d’autant plus aimable qu’il était plus malheureux. Elle lui envoya les Êpitres de saint Paul, traduites en françois. Mais le prisonnier de Charles-Quint n’était pas de complexion à puiser ses consolations dans l’Écriture. Elle lui témoignait dans ses lettres un ardent dévouement. « Quoi que puisse être, jusques à mettre au vent la cendre de mes os pour vous faire service, rien ne me sera ni étrange, ni difficile, ni pénible, mais considération, repos et honneur[1]. »

Elle n’y put tenir. Munie des pleins pouvoirs de la régente sa mère, elle s’embarqua à Aiguës-Mortes, descendit à Barcelone, entra à Madrid et embrassa son frère, qui lui dit que sans elle il était un homme mort.

La bonté de Marguerite ne s’endormait pas dans des caresses. Elle agit, conféra, négocia. Sa force était toute dans son bon cœur et dans sa droiture. Elle disait elle-même : « Je suis la femme que vous savez, qui s’est toujours laissé gagner à tout le monde. »

  1. En lisant à la hâte les lettres de Marguerite à son frère, Miche-let y vit ce qu’il voyait partout. Cet enfant terrible de l’histoire geint, pleure, soupire, puis trépigne, griffe, égratigne. Ce qu’il dit de Marguerite (Réforme, p. 175) n’est que rêve de vieillard, ægri somma. M. Félix Frank, qui fait admirer en Michelet le divinateur, le voyant, n’a pas été dupe du Michelet indiscret, maladif, mono-mane. Il a rendu aux relations du frère et de la sœur leur vrai caractère. Je renvoie à l’excellent travail, plein de savoir et de sens, qu’il a mis en tête de son édition des Marguerites de la Marguerite des princesses.