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La congrégation de Saint-Maur, dont le général résidait à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, poursuivait depuis longtemps d’immenses travaux d’érudition. Chaque couvent était pourvu d’une bibliothèque ; tous les moines écrivaient, tandis que des frères lais apprêtaient les légumes et nettoyaient les salles. Les plus doctes moines étaient dispensés d’assister régulièrement aux offices, afin qu’ils ne perdissent pas en oremus un temps mieux employé à des recherches savantes. Mais les jésuites jetèrent le trouble dans cette cité des livres, en soutirant, jusque dans les alcôves, des lettres de cachet contre les plus illustres bénédictins.

Le jeune Prévost entra dans la congrégation au moment où le feu de la querelle s’allumait : sa présence l’attisa. N’était-il pas, aux yeux des petits pères, un félon, un transfuge, un apostat passé diaboliquement, du sein, du cœur même de Jésus, dans un atelier de mensonges, dans une officine d’hérésies ? Car les jésuites accusaient de jansénisme leurs rivaux, ce qui était le meilleur moyen de les envoyer pourrir à la Bastille ou tout au moins finir de misère à Cologne ou à la Haye. Mais peut-être, après tout, y avait-il quelque chose de fondé dans cette accusation. L’hérésie est insidieuse, et les docteurs eux-mêmes ne sont pas toujours à l’abri de ses séductions. Tradidit mundum disputationibus eorum. Ce n’est point notre affaire.

Dom Prévost, revêtu du scapulaire noir des enfants de Benoît, fut envoyé par le général à l’abbaye de Saint-Ouen, à Rouen. Il y avait alors dans cette ville