Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/192

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l’eut découverte, le couvent lui devint tout à fait intolérable. Il avoua son état à quelques amis et les consulta sur ce qu’il avait à faire. Ses vœux étaient formels ; il ne pouvait songer à s’en faire relever. Le seul remède qu’on trouva fut d’obtenir que dom Prévost pût passer à Cluny, où la règle était moins sévère qu’à Saint-Maur. On agit à Rome, qui est parfois accommodante. Rome envoya secrètement un bref de translation à l’évêque d’Amiens pour qu’il le fulminât, et il l’eût fulminé. Mais il ne se hâta pas assez. Un jour le pénitencier d’Amiens, homme austère et gallican de vieille roche, étant entré dans le cabinet épiscopal, vit par hasard le bref sur une table, le lut, demanda à quel propos ce bref était là, et, sur la réponse de Monseigneur, il fronça les sourcils : « Rome, dit-il, est prodigue de grâces ; le monde sera rempli de moines dégoûtés de leur état pour peu qu’on les écoute. On connaît le goût de dom Prévost pour l’indépendance et la frivolité. S’il a de meilleures raisons à alléguer, on l’entendra. Mais il ne faut rien résoudre auparavant. » Le pénitencier de Monseigneur ayant parlé très haut, Monseigneur, qui était ennemi des querelles, mit le bref dans un tiroir, où il peut bien être encore.

Pendant ce temps, l’impatient Prévost se disait : « Si le bref n’est pas encore fulminé, il le sera bientôt. Monseigneur d’Amiens est de mes amis. Faisons notre paquet. » Et, sur ce beau raisonnement, il écrivit trois lettres pour donner les raisons de son départ, une au père général, une autre au père prieur, la troisième à un autre religieux. Il les laissa dans sa cellule,