Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/218

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avait un peu oubliée depuis un an et dont les reproches venaient allumer à propos le repentir de Marie. Saint-Pierre, en ce moment, était las de la Pologne. Poniatowski, qu’il avait voulu combattre, mais auquel il avait peu nui, était devenu roi, comme on eût dû s’y attendre. Il offrait au jeune officier un emploi dans l’artillerie. Mais l’emploi n’était que de quatre cents ducats. Saint-Pierre jugeait la récompense maigre et se sentait humilié. Il voulait prendre du service en Autriche, espérant beaucoup de Vienne, qu’il ne connaissait pas.

La séparation ne fut pas trop cruelle. La princesse le congédia doucement, en personne bien née. Elle lui écrivit même à Vienne des lettres polies, mais qu’il fallait comprendre. Le chevalier, n’ayant pas trouvé de service à Vienne, revint morose à Varsovie, où la princesse donnait des fêtes. Il n’y avait pas d’apparence qu’elle eût quitté le chevalier pour s’ensevelir dans un ermitage. Mais le chevalier n’était pas d’humeur à goûter agréablement la joie d’autrui. 11 ne put supporter ces violons, ces girandoles, qui semblaient célébrer joyeusement son absence. Il entra dans la fête sans y être prié, se promena d’un air hagard parmi les invités, resta indiscrètement le dernier et imposa à Marie, quand elle fut seule, l’entretien le plus fastidieux. 11 apprit clairement cette fois qu’on ne l’aimait plus. Il n’avait jamais été follement épris, mais il était furieux de perdre une amie agréable et utile. Une jolie femme est une chose en soi-même chère et précieuse, et celle-là obligeait Saint-Pierre de quelque argent qu’il lui