Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/224

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pinasse ne manquait pas de la demander au héros quand l’assemblée était nombreuse. Il la contait. Mais, lorsqu’il touchait au moment de faire éclater sa vertu, M11" de Lespinasse l’interrompait en souriant : — « Croyez-moi, disait-elle, ne parlons pas de cela. »

Saint-Pierre fut piqué et se retira. D’Alembert tenta de le ramener par une lettre affectueuse, caressante, pleine de ces choses qu’on dit aux malades. Il y louait Bernardin de n’avoir pas cassé la tête au libraire. Il protestait des bonnes intentions de Mlle de Lespinasse, alors souffrant de la fièvre. « Ce serait bien mal juger d’elle, disait-il, que de croire qu’elle vous eût fait un tort de votre mélancolie. » Mais rien ne fit, et Saint-Pierre resta fâché. D’ailleurs, les dissentiments les plus profonds le séparaient des encyclopédistes. Ils n’estimaient guères sa science, qui était incertaine, tout obscurcie de songes. Ils sentaient mal en lui un génie rêveur et délicat. De plus, il était déiste et s’instituait déjà contre eux le défenseur de la Providence. Il les quitta, s’isola et devint parfaitement insociable.

N’espérant plus fonder une république au bord d’un lac ou dans une île, il résolut, comme il le dit, de puiser de l’eau dans son propre puits. 11 se mit à composer un grand livre sur la nature. Il commença de l’écrire dans une chambre meublée de la rue de la Madeleine. En 1781, il loua un petit donjon dans la rue Neuve-Saint-Étienne-du-Mont.

C’était une rue silencieuse et tout égayée par des jardins. Le bonRollin y avait eu sa maison et son verger. Lui qui se nourrissait de la fleur des lettres antiques et qu’on nommait l’Abeille, il avait vu là les