Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

noncée ; mais, à l’impétuosité et à l’exigence dans les relations d’amour, on ne peut la méconnaître. Cette apparente intimité, cette domination passionnée, pendant laquelle ils se déchiraient partout ce que la haine et la colère peuvent dicter de plus injurieux, est leur histoire à l’un et à l’autre.

Cette ressemblance seule est trop frappante pour ne pas rendre inutiles tous les autres déguisements.

L’auteur n’avait point les mêmes raisons pour dissimuler les personnages secondaires. Aussi peut-on mettre des noms en passant. Le père de Benjamin était exactement tel qu’il l’a dépeint. La femme âgée avec laquelle il a vécu dans sa jeunesse, qu’il a beaucoup aimée et qu’il a vue mourir, est une Mme de Charrières, auteur de quelques jolis romans. L’amie officieuse qui, prétendant le réconcilier avec Ellé-nore, les brouille davantage, est Mme Récamier. Le comte de P… est de pure invention, et en effet, quoiqu’il semble d’abord un personnage important, l’auteur s’est dispensé de lui donner aucune physionomie et ne lui fait non plus jouer aucun rôle.

D’autres contemporains, toutefois, furent moins affirmatifs que ne l’avait été Sismondi, et quelques-uns, dont s’inspira plus tard M. de Loménie, crurent reconnaître en Ellénore une certaine Mm" Lindsay avec laquelle Benjamin Constant avait eu, dans sa jeunesse, une liaison passagère.

« Elle était, écrit Chateaubriand, Irlandaise d’origine, d’un esprit sec, d’une humeur un peu cassante, élégante de taille, agréable de figure ; elle avait de la noblesse et de l’élévation de caractère ; les émigrés de mérite passaient la soirée au foyer de la dernière des Ninon. »

Il est fort possible que quelques traits soient empruntés à cette figure, d’ailleurs indistincte pour