Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/278

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Charles-Julien Lioult de Chênedollé naquit à Vire, le 4 novembre 1769, d’une famille de gens de robe. Sa mère était une femme d’imagination, « ingénieuse à se troubler elle-même, une de ces âmes qui ne vivent que d’angoisses et d’alarmes ». 11 lui ressembla. Dès l’âge de neuf ans, il trouvait que les champs étaient très beaux à regarder quand il y avait du soleil. A douze ans, il fut envoyé chez les oratoriens de Juilly.

Quand il revint à Vire, en 1789, il vécut dans l’enchantement. Il y avait une harmonie entre ce ciel normand qui semble avoir, à de certaines heures, une beauté intelligente, et cette âme aussi fraîche que le paysage. 11 lisait dans l’herbe la Nouvelle Hêloise et les idylles de Gessner. La révolution l’arracha à ses blés et à ses livres. Il alla, comme René, servir dans l’armée des Princes. L’armée de la République le jeta, avec ses compagnons débandés, sur les glaces de la mer de Hollande. Il alla se reposer à Hambourg, où les roués de l’ancien régime étaient réunis çt disaient des inpertinences. Rîvarol jetait ses dernières fusées. Chênedollé fut ébloui. Il admira M. de Lally, échappé à la Révolution et soupant : « J’ai vu tomber cette tête. Voulez-vous me passer une a ; !e de poulet ? »

Il connut aussi à Hambourg le poète Klopstock, qui avait ouvert un monde à l’imagination, mais un monde de brumes. Lui-même, il mit quelques odes de sa façon dans le Spectateur du Nord et resta modeste. Il était mélancolique : la maladie d’Obermann l’avait atteint. Rentré en France, il songea à un grand poème sur le génie de l’homme ; il n’avait de hâte