Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/333

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miens. Mon cœur déborde de joie. Hier nous avons été assez égoïstes pour ne pas avoir le temps de vous écrire. Que le même bonheur vous arrive bientôt I Attendez-moi d’un moment à l’autre. Encore trois ou quatre jours de repos et nous allons vous sauter au cou. Chez nous on désire la paix, et je crois que la guerre ne serait que la continuation des désastres. Que cette horrible épreuve soit vite terminée ! Je cède la place à Emma. Nous vous embrassons de toutes nos forces.

« Votre frère, « Albert Glatigny. »

Je pourrais transcrire ici la lettre de Mme Glatigny. Mais est-il besoin de nouveaux témoignages pour montrer au vif l’âme de cette généreuse créature ? Malade, elle se fit guérisseuse. Son amour alla droit au poète souffrant, pour cela même qu’il était poète et qu’il se mourait.

La lettre qui suit est datée de Trouville, le 20 février 1871. Glatigny y parle gaiement de ses douleurs de reins qui n’ont pas cédé :

«… Je jouis d’une chose qu’on appelle un zona. Ce n’est pas gai. Je ne sais rien d’atroce comme cette douleur qui a le privilège de vous rompre les reins. Ça n’attaque en rien les organes, c’est purement extérieur, mais extérieur à la façon d’une forte dégelée de coups de bâton. Enfin, ça va passer. Dussiez-vous en être indigné, je vous avouerai que plus je vais, plus je me sens amoureux d’Emma, et ça prend la tournure de continuer toujours comme ça. Quel trésor ! Je suis obligé de me pincer pour me persuader que je ne dors pas quand je me dis que c’est ma femme. Cosette devient d’une exigence incroyable, par exemple ! C’est la personne la plus importante du ménage. On ne peut rien faire sans sa permission…

« Nous vous embrassons bien fort.

« Albert Glatigny. »