Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/40

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comme Job et pauvre comme lui, il restait chargé de ses deux sœurs, Anne et Françoise, toutes deux fort dépourvues. L’une aimait le vin, l’autre les hommes. Ni l’une ni l’autre n’était mariée. Un petit chrétien faisait vacarme dans la maison. Scarron l’appelait tout haut son neveu, et, si les gens semblaient surpris, il ajoutait : « C’est mon neveu à la mode du Marais. » Françoise l’avait eu, dit-on, du duc de Tresme. Les âmes charitables disaient que Mlu Scarron était mariée secrètement avec ce seigneur. Je n’en sais rien, mais cette Françoise avait beaucoup d’esprit et l’humeur agréable. Saumaise la range parmi les précieuses. Elle était, en tout cas, de celles qui ne vaquaient pas qu’à la philosophie. Elle avait une petite chienne du nom deGuillemette. Scarron composa uneépître burlesque à Guillemette, chienne de sa sœur, puis il proposa en erratum de lire : sa chienne de sœur.

Il habitait alors dans la rue des Douze-Portes, qu’il aimait beaucoup, non parce qu’elle était tortue comme lui, mais à cause qu’elle était proche de la place Royale. Les belles dames qui, l’éventail aux doigts et le miroir à la ceinture, se promenaient sous les arcades, au regard des galants, n’avaient qu’un tour à faire pour atteindre la maison dont le paralytique occupait le second étage. Ce coin du Marais n’était pas peuplé que de nonnes. On y voyait, entre chien et loup, des demoiselles d’humeur hospitalière. Scarron disait : « Il y a douze coureuses dans la rue des Douze-Portes, à ne prendre mes deux sœurs que pour une. » Il ajoutait, en soupirant, qu’elles se faisaient mal payer de leurs locataires. En attendant, il