Page:Anatole France - Le Génie latin.djvu/43

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En réalité, sa tête cachait sa poitrine. Cette tête, où brillaient de gros yeux bleus, lui faisait encore assez d’honneur. La maladie l’avait un peu épargnée, et c’était la tête d’un homme d’esprit. Mais son corps était pitoyablement tors et tout à fait perclus. Il ne pouvait se servir de ses mains. Il ne parvint pas à chasser une mouche qui s’était mise sur son nez. Ses souffrances étaient intolérables. On ne le touchait pas sans le faire crier ; il ne dormait pas sans opium, et c’était l’homme le plus gai du royaume. Mais parfois, déchiré de douleurs, en se voyant si hideusement défait il songeait à sa jeunesse, quand il jouait du luth et dansait dans les ballets, et il était pris de désespoir. Il dit un jour à M. de Marigny : « Ah ! s’il m’était permis de me supprimer moi-même, il y a lontemps que je me serais empoisonné. » Il avait de ces tristesses, puis il imaginait quelque boufFonnerie et riait de nouveau. Guez de Balzac, après lui avoir fait visite, écrivit à M. Costar : « Le mal ne le pique pas, mais le chatouille. Je dis qu’il porte témoignage contre la mollesse du genre humain. » Il ne s’était pas encore trouvé d’esprit qui sût danser la sarabande et les matassins dans un corps paralytique.

Au Mans était alors un évêque fort doux pour le prochain et pour lui-même. Par un bienfait spécial de la Providence, il était intronisé dans l’évêché de France où les chapons sont le plus gros, le plus tendres et le plus savoureux.

Il ne voulait pas la mort du pécheur ; il aimait les poètes qui vivaient bien et lisait leurs poésies quand elles étaient joyeuses. Sa table épiscopale était servie