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LE JARDIN D'ÉPICURE

Mon ami Jean me la désigna du bout de sa pipe qu’il venait de bourrer :

— Voyez, me dit-il, cette fille qui ne mange que du lard et du pain et qui portait, hier, au bout d’une fourche les bottes de paille dont elle a encore des brins dans les cheveux. Elle est heureuse et, quoi qu’elle fasse, innocente. Car c’est la science et la civilisation qui ont créé le mal moral avec le mal physique. Je suis presque aussi heureux qu’elle, étant presque aussi stupide. Ne pensant à rien, je ne me tourmente plus. N’agissant pas, je ne crains pas de mal faire. Je ne cultive pas même mon jardin, de peur d’accomplir un acte dont je ne pourrais pas calculer les conséquences. De la sorte, je suis parfaitement tranquille.