Page:Anatole France - Le Livre de mon ami.djvu/282

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Saturne. Eh bien, il ne leur donne pas une seule qualité qui ne se trouve sur la terre ; mais il assemble ces qualités de la manière la plus extravagante ; il délire constamment. Voyez, au contraire, ce que fait une belle imagination naïve : Homère, ou, pour mieux dire, le rapsode inconnu, fait émerger de la blanche mer une jeune femme, « comme une nuée ». Elle parle, elle se lamente avec une sérénité céleste ! « Hélas ! enfant, dit-elle, pourquoi t’ai-je nourri ?… Je t’enfantai dans ma maison pour une mauvaise destinée. Mais j’irai sur l’Olympe neigeux… J’irai dans la maison d’airain de Zeus, j’embrasserai ses genoux, et je crois qu’il sera gagné. » Elle parle, c’est Thétis, elle est déesse. La nature a donné la femme, la mer et la nuée ; le poète les a associées. Toute poésie, toute féerie est dans ces associations heureuses.

Voyez comme à travers la sombre ramure un rayon de lune glisse sur l’écorce argentée des bouleaux. Le rayon tremble, ce n’est pas un rayon, c’est la robe blanche d’une fée. Les enfants qui l’apercevront vont s’enfuir, saisis d’un effroi délicieux.