Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/102

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Et, lui tournant le dos, elle alla s’enfermer dans sa chambre.


Ce soir-là, dans son lit, elle ouvrit un livre, comme à l’ordinaire, avant de s’endormir. C’était un roman. Elle tournait les feuillets avec distraction, quand elle trouva ces lignes :


L’amour est comme la dévotion : il vient tard. On n’est guère amoureuse ni dévote à vingt ans, à moins d’une disposition spéciale, d’une sorte de sainteté native. Les prédestinées elles-mêmes luttent longtemps contre cette grâce d’aimer plus terrible que la foudre qui tombe sur le chemin de Damas. Une femme, le plus souvent, ne cède à l’amour-passion qu’à l’âge où la solitude n’effraye plus. C’est qu’en effet la passion est un désert aride, une Thébaïde brûlante. La passion, c’est l’ascétisme profane, aussi rude que l’ascétisme religieux.

Aussi voit-on que les grandes amoureuses sont aussi rares que les grandes pénitentes. Ceux qui connaissent bien la vie et le monde savent que les femmes ne mettent pas volontiers sur leur poitrine délicate le cilice d’un véritable amour. Ils savent que rien n’est moins commun qu’un long sacrifice. Et considérez ce qu’une mondaine doit immoler quand elle aime. Liberté, quiétude, jeux charmants d’une âme libre, coquetterie, amusements, plaisirs, elle y perd tout.

Le flirt est permis. Il est conciliable avec toutes les exigences de la vie élégante. L’amour point. C’est