Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/117

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des contes de Merlusine. Louis XIV est un précurseur de la Convention et de Bonaparte. Mais le mal a atteint sa plénitude depuis l’institution monstrueuse du service pour tous. Avoir fait une obligation aux hommes de tuer, c’est la honte des empereurs et des républiques, le crime des crimes. Aux âges qu’on dit barbares, les villes et les princes confiaient leur défense à des mercenaires qui faisaient la guerre en gens avisés et prudents ; il n’y avait parfois que cinq ou six morts dans une grande bataille. Et quand les chevaliers allaient en guerre, du moins n’y étaient-ils point forcés ; ils se faisaient tuer pour leur plaisir. Sans doute n’étaient-ils bons qu’à cela. Personne, au temps de saint Louis, n’aurait eu l’idée d’envoyer à la bataille un homme de savoir et d’entendement. Et l’on n’arrachait pas non plus le laboureur à la glèbe pour le mener à l’ost. Maintenant, on fait un devoir à un pauvre paysan d’être soldat. On l’exile de la maison dont le toit fume dans le silence doré du soir, des grasses prairies où paissent les bœufs, des champs, des bois paternels ; on lui enseigne, dans la cour d’une vilaine caserne, à tuer régulièrement des hommes ; on le menace, on l’injurie, on le met en prison ; on lui dit que c’est un honneur, et, s’il ne veut point s’honorer de cette manière, on le fusille. Il obéit parce qu’il