Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/159

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s’étaient ouvertes à elle, et un attrait auquel elle ne résistait plus. Elle lui avait toujours reconnu le don de plaire. Elle lui en découvrait maintenant la volonté. Cette idée lui fut délicieuse ; elle ferma les yeux comme pour la retenir. Puis, subitement, elle tressaillit.

Elle avait senti un coup sourd, frappé au dedans d’elle, dans le mystère de son être, un heurt douloureux. Elle eut la vision brusque, inattendue, de son ami, le fusil sous le bras, dans les bois. Il allait, de son pas ferme et régulier, dans l’allée profonde. Elle ne pouvait voir son visage, et cela la troublait. Elle ne lui en voulait plus. Elle n’était plus mécontente de lui. Maintenant, c’est d’elle-même qu’elle était mécontente. Et Robert allait droit devant lui sans tourner la tête, loin, toujours plus loin, jusqu’à n’être plus qu’un point noir dans le bois désolé. Elle se jugeait brusque et capricieuse, et dure, de l’avoir quitté sans adieu, même sans une lettre. C’était son ami, son seul ami. Elle n’en avait jamais eu d’autre. Elle pensa : « Je ne voudrais pas qu’il fût malheureux à cause de moi. »

Peu à peu, elle se rassura. Il l’aimait sans doute ; mais il n’était pas très sensible, pas ingénieux, heureusement, à s’inquiéter et à se tourmenter. Elle se dit : « Il chasse. Il est content.