Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/275

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renier l’homme qui avait soutenu contre elle avec tant de dureté et de violence ses droits de possesseur. Mais elle avait hâte de s’arrêter dans la voie tortueuse. Elle se leva et regarda son ami avec de beaux yeux tendres et graves.

— Écoutez-moi : du jour où je me suis donnée à vous, ma vie vous appartient tout entière. S’il vous vient un doute, une inquiétude, interrogez-moi. Le présent est à vous, et vous savez bien qu’il n’y a que vous, vous seul, toi dedans. Quant à mon passé, si vous saviez quel néant c’était, vous seriez content. Je ne crois pas qu’une autre femme, faite comme moi pour aimer, vous eût apporté une âme plus neuve d’amour que la mienne. Cela, je vous le jure. Les années écoulées sans vous, je ne les ai pas vécues. N’en parlons pas. Il ne s’y trouve rien dont je puisse avoir honte. Avoir regret, c’est autre chose : je regrette de vous avoir connu si tard. Pourquoi, mon ami, pourquoi n’êtes-vous pas venu plus tôt ? Je me serais laissé prendre par vous il y a cinq ans, aussi volontiers qu’aujourd’hui. Mais, croyez-moi, ne nous fatiguons pas à creuser le temps qui n’est plus. Rappelez-vous Lohengrin. Si vous m’aimez, je suis pour vous le chevalier du cygne. Moi, je ne vous ai rien demandé. Je n’ai rien voulu savoir. Je ne vous ai pas fait de querelle au sujet de mademoiselle Jeanne Tancrède. J’ai