Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/276

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vu que tu m’aimais, que tu souffrais, et cela m’a suffi !… parce que je t’aimais.

— Une femme ne peut pas être jalouse de la même manière qu’un homme, ni sentir ce qui nous fait le plus souffrir.

— Je n’en sais rien. Pourquoi ?

— Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas dans le sang, dans la chair d’une femme, cette fureur absurde et généreuse de possession, cet antique instinct dont l’homme s’est fait un droit. L’homme est le dieu qui veut sa créature tout entière. Depuis des siècles immémoriaux la femme est faite au partage. C’est le passé, l’obscur passé qui détermine nos passions. Nous étions déjà si vieux quand nous sommes nés ! La jalousie n’est pour une femme que la blessure de l’amour-propre. Chez l’homme, c’est une torture profonde comme la souffrance morale, continue comme la souffrance physique… Tu demandes pourquoi ? Parce que, malgré ma soumission et mes respects, en dépit de la peur que tu me donnes, tu es la matière et moi l’idée, tu es la chose, et moi l’âme, tu es l’argile et moi l’artisan. Oh ! ne t’en plains pas. Auprès de l’amphore arrondie et ceinte de guirlandes, qu’est-ce que l’humble et rude potier ? Elle est tranquille et belle. Il est misérable. Il se tourmente, il veut, il souffre ; car vouloir, c’est souffrir. Oui, je suis jaloux. Je sais