Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/294

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à elle aussi qu’elle plaisait, qu’elle voulait plaire. Follement inquiète, lorsqu’il n’y avait rien pour elle à la poste, tremblante et joyeuse lorsqu’elle recevait, à travers la grille, par le petit guichet, une lettre où elle reconnaissait la large écriture ornée de son ami, elle dévorait ses souvenirs, ses désirs et ses espérances. Ainsi les heures, déchirées, froissées, brûlées, s’anéantirent rapidement.

Seul, le matin du jour où il devait venir lui parut d’une longueur odieuse. Elle était à la gare avant l’arrivée du train. Un retard était signalé. Elle en fut accablée. Optimiste dans ses projets, et mettant de force, comme son père, le sort du parti de sa volonté, ce retard qu’elle n’avait pas prévu lui semblait une trahison. Le jour gris que, durant trois quarts d’heure, filtraient les vitres du hall, tombait sur elle comme les grains d’un sablier immense qui lui mesurait les minutes perdues pour le bonheur. Elle se désolait, quand, dans la lumière rouge du soleil déjà bas, elle vit la machine du rapide s’arrêter, monstrueuse et docile, sur le quai de l’arrivée, et, dans la foule des voyageurs s’échappant des voitures, Jacques, qui, grand et mince, venait à elle. Il la regardait avec cette sorte de joie sombre et violente qu’elle lui connaissait. Il dit :

— Enfin vous voilà ! Je craignais de mourir