Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/314

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plancher, elle vit dans la glace sa nudité fleurie. Et aux louanges caressantes de son ami, elle répondit :

— C’est vrai, pourtant, que je suis faite pour l’amour.

Avec une délicate impudeur elle contemplait l’image de sa forme dans la lumière vermeille, qui avivait les roses pâles ou pourprées des joues, des lèvres et des seins.

— Je m’aime parce que tu m’aimes.

Certes, il l’aimait, et il ne lui était pas possible de s’expliquer à lui-même pourquoi il l’aimait avec une piété ardente, avec une sorte de fureur sacrée. Ce n’était pas à cause de sa beauté, pourtant si rare, infiniment précieuse. Elle avait la ligne, mais la ligne suit le mouvement et fuit sans cesse ; elle se perd et se retrouve, cause des joies et des désespoirs esthétiques. La belle ligne, c’est l’éclair qui blesse délicieusement les yeux. On l’admire et l’on s’étonne. Ce qui fait qu’on désire et qu’on aime, c’est une force douce et terrible, plus puissante que la beauté. On trouve une femme entre mille qu’on ne peut plus quitter, dès qu’on l’a possédée, et qu’on veut toujours, et qu’on veut encore. C’est la fleur de sa chair qui donne ce mal inguérissable d’aimer. Et c’est autre chose encore qu’on ne peut dire, c’est l’âme de son corps. Elle était cette femme qu’on ne peut ni quitter ni tromper.