Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/321

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recueillie. Il s’en échappait des effusions pieuses qui rappelaient à Thérèse les livres de prières qu’elle lisait, enfant. « Je vous aime, et j’aime tout en vous : la terre qui vous porte, sur laquelle vous pesez si peu et que vous embellissez, la lumière qui fait que je vous vois, l’air que vous respirez. J’aime le platane penché de ma cour, parce que vous l’avez vu. Je me suis promené, cette nuit, sur l’avenue où je vous ai rencontrée un soir d’hiver. J’ai cueilli un rameau du buis que vous aviez regardé. Dans cette ville où vous n’êtes pas, je ne vois que vous. »

Il lui disait en finissant qu’il allait déjeuner dehors. En l’absence de Madame Fusellier, partie la veille pour Nevers, sa ville natale, la marmite était renversée ; il irait dans un cabaret de la rue Royale auquel il était accoutumé. Et là, parmi la foule indistincte, il serait seul avec elle.

Thérèse, alanguie par la douceur des caresses invisibles, ferma les yeux et renversa la tête au dossier de son fauteuil. En entendant le bruit du mail qui venait se placer devant le perron, elle ouvrit la seconde lettre. Dès qu’elle en vit l’écriture altérée, les lignes précipitées et tombantes, l’aspect triste et violent, elle se troubla.

Le début obscur laissait paraître une angoisse soudaine et de noirs soupçons : « Thérèse, Thérèse, pourquoi vous être donnée, si vous ne