Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/351

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d’embûches qu’il en avait dressées. Ses collaborateurs eux-mêmes lui devenaient hostiles.

Le comte Martin voulait que le nouveau ministère répondît aux aspirations de l’esprit nouveau.

— Votre liste est formée de personnalités qui diffèrent essentiellement d’origine et de tendances, dit-il. Or c’est peut-être le fait le plus considérable de l’histoire politique de ces dernières années que la possibilité, je dirai la nécessité, d’introduire l’unité de vues dans le gouvernement de la République. Ce sont des idées, mon cher Garain, que vous avez exprimées vous-même avec une rare éloquence.

M. Berthier D’Eyzelles se taisait.

Le sénateur Loyer roulait dans ses doigts des boulettes de mie de pain. Antique habitué des brasseries, c’est en pétrissant des miettes ou en taillant des bouchons qu’il trouvait des idées. Il leva sa face couperosée d’où pendait une barbe sale. Et, regardant Garain avec des yeux bridés où pétillait un petit feu rouge :

— Je l’ai dit, et l’on n’a pas voulu me croire. L’anéantissement de la Droite monarchique a été pour les chefs du parti républicain un malheur irréparable. On gouvernait contre elle. Le véritable appui d’un gouvernement, c’est l’opposition. L’empire a gouverné contre les orléanistes et contre nous ; le Seize-Mai a gouverné contre