Page:Anatole France - Le Lys rouge.djvu/371

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valse. Les visiteurs se pressaient dans le couloir : financiers, artistes, députés, en un moment s’amassèrent dans le petit salon attenant à la loge. Ils entouraient M. Martin-Bellème, murmuraient des félicitations, lui jetaient par-dessus les têtes des gestes gracieux, et s’entre-étouffaient pour lui serrer la main. Joseph Schmoll, toussant et geignant, aveugle et sourd, s’ouvrit un chemin dans leur masse méprisée et arriva jusqu’à madame Martin. Il lui prit la main, la couvrit de souffles et de baisers sonores.

— On dit que votre mari est nommé ministre. Est-ce que c’est vrai ?

Elle savait qu’on le disait, mais elle ne croyait pas que rien fût fait encore. D’ailleurs, son mari était là. On pouvait le lui demander.

Sensible aux vérités littérales :

— Ah ! votre mari, dit-il, n’est pas encore ministre ? Quand il sera nommé, je vous demanderai un moment d’entretien. Il s’agit d’une affaire de la plus haute importance.

Puis il se tut, promenant sous ses lunettes d’or ces regards d’aveugle et de visionnaire qui l’entretenaient, malgré l’exactitude brutale de sa nature, dans une sorte de mysticisme. Il demanda brusquement :

— Vous êtes allée en Italie, cette année, madame ?