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grandit sous le péril romain qu’elle ne pouvait pas toujours conjurer, qu’elle ne sut pas toujours regarder en face et qui la menace encore.

La fixité des mots, qui désignent des choses mouvantes, trompe les esprits et cause de faux jugements. Les noms de Pape et d’Église demeurent, mais ils ne représentent autant dire rien de ce qu’ils représentaient il y a cent ans, il y a seulement trente ans. Depuis 1869, depuis le concile du Vatican et la retraite du Souverain Pontife dans sa forteresse spirituelle, une papauté nouvelle est née. Au pape Roi a succédé le pape Dieu. Le nouveau dogme de l’infaillibilité, qui sembla un coup de folie religieuse, fut un acte d’habilité politique.

Promulgué à l’heure où Pie IX perdait les derniers restes de son domaine royal, ce dogme substituait à la souveraineté abolie des Légations la souveraineté éventuelle de l’univers. En disparaissant à jamais derrière le Vatican, ce palais sans façade et presque sans abords, le pape semblait dire : « Quand j’aurai laissé Rome à l’impie, quand je ne serai plus nulle part sur la terre, je serai partout et ma Rome sera le monde. » Expansion violente de la papauté subtilisée !