Page:Anatole France - Le Puits de sainte Claire.djvu/38

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maux, des plantes et des pierres est le secret des dieux immortels, et j’ignore autant que toi-même la cause de ces cornes dont mon front est orné et sur lesquelles les nymphes nouaient autrefois des guirlandes de fleurs. Je ne sais ce que font ces deux glandes suspendues à mon cou, ni pourquoi j’ai les pieds du bouc audacieux. Je puis t’apprendre seulement, mon fils, qu’il fut jadis dans ces bois des femmes ayant comme moi le front cornu et les cuisses laineuses. Mais leur poitrine était ronde et blanche. Leur ventre, leurs reins polis reluisaient. Jeune alors, le soleil aimait, sous le feuillage, à les cribler de ses flèches d’or. Elles étaient belles, mon fils. Hélas ! elles ont disparu des bois jusqu’à la dernière. Mes pareils ont péri comme elles ; et je reste aujourd’hui seul de ma race. Je suis bien vieux.

— Vieillard, fais-moi connaître ton âge, ton sang, ta patrie.

— Mon fils, je naquis de la Terre, bien avant que Jupiter eût détrôné Saturne, et mes yeux ont contemplé la nouveauté fleurie du monde. La race humaine n’était pas encore sortie de l’argile. Seules avec moi, les satyresses dan-