Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/125

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« Il n’y a pas au monde une créature aussi malheureuse que je suis.

— Mademoiselle, répondit mon bon maître, je suis discret par état et par tempérament  ; je ne chercherai point à vous tirer votre secret. Mais on voit clairement à votre mine que vous souffrez d’une peine d’amour. Et c’est un mal dont on réchappe, car j’en ai été moi-même atteint. Il y a de cela fort longtemps. »

Il lui prit la main, lui donna mille témoignages de sympathie et poursuivit en ces termes :

« Je n’ai qu’un regret à cette heure, c’est de ne pouvoir vous offrir un asile pour passer le reste de la nuit. Mon gîte est dans un vieux château assez distant, où je traduis un livre grec en compagnie de ce jeune Tournebroche que vous voyez ici. »

En effet, nous habitions alors chez M. d’Astarac, au château des Sablons, dans le village de Neuilly, et nous étions aux gages d’un grand souffleur qui périt, depuis, d’une mort tragique.

« Si toutefois, mademoiselle, ajouta mon