Page:Anatole France - Les Contes de Jacques Tournebroche.djvu/134

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jolie tête sur l’épaule du meilleur des hommes, s’endormit doucement. Quand M. l’abbé Coignard s’aperçut que la jeune demoiselle était plongée dans le sommeil, il se félicita d’avoir tenu un langage propre à communiquer à une âme souffrante le repos et la paix.

« Il faut convenir, dit-il, que mes discours ont une propriété bienfaisante. »

Pour ne pas troubler le sommeil de Mlle Sophie, il prit mille précautions et se contraignit à parler couramment, dans la crainte raisonnable que le silence ne l’éveillât.

« Tournebroche, mon fils, me dit-il, toutes ses misères sont évanouies avec la conscience qu’elle en avait. Considérez qu’elles étaient toutes imaginaires et situées dans sa pensée. Considérez aussi qu’elles étaient causées par une sorte d’orgueil et de superbe qui accompagne l’amour et le rend très âpre. Car enfin, si nous aimions avec humilité et dans l’oubli de nous-mêmes, ou seulement d’un cœur simple, nous serions satisfaits de ce qu’on nous donne et nous ne tiendrions pas pour trahison le mépris qu’on fait de nous. Et s’il nous restait