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LES DIEUX ONT SOIF

Elle l’avait toujours dans ses jupes, miroir d’amour et certificat vivant de civisme.

La citoyenne félicita Gamelin de ses talents et lui demanda s’il ne consentirait pas à dessiner une carte pour une marchande de modes à qui elle s’intéressait. Il y traiterait un sujet approprié : une femme essayant une écharpe devant une psyché, par exemple, ou une jeune ouvrière portant sous son bras un carton à chapeau.

Comme capables d’exécuter un petit ouvrage de ce genre, on lui avait parlé du fils Fragonard, du jeune Ducis et aussi d’un nommé Prudhomme ; mais elle préférait s’adresser au citoyen Évariste Gamelin. Toutefois elle n’en vint, sur cet article, à rien de précis, et l’on sentait qu’elle avait mis cette commande en avant uniquement pour engager la conversation. En effet elle était venue pour tout autre chose. Elle réclamait du citoyen Gamelin un bon office : sachant qu’il connaissait le citoyen Marat, elle venait lui demander de l’introduire chez l’Ami du peuple, avec qui elle désirait avoir un entretien.

Gamelin répondit qu’il était un trop petit personnage pour la présenter à Marat, et que, du reste, elle n’avait que faire d’un introducteur : Marat, bien qu’accablé d’occupations, n’était pas l’homme invisible qu’on avait dit.