Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
LES DIEUX ONT SOIF

Il descendit avec la citoyenne Rochemaure l’escalier sombre, dont les degrés de bois et de carreaux étaient recouverts d’une crasse antique.

Sur le Pont-Neuf, où le soleil, déjà bas, allongeait l’ombre du piédestal qui avait porté le Cheval de Bronze et que pavoisaient maintenant les couleurs de la nation, une foule d’hommes et de femmes du peuple écoutaient, par petits groupes, des citoyens qui parlaient à voix basse. La foule, consternée, gardait un silence coupé par intervalles de gémissements et de cris de colère. Beaucoup s’en allaient d’un pas rapide vers la rue de Thionville, ci-devant rue Dauphine ; Gamelin, s’étant glissé dans un de ces groupes, entendit que Marat venait d’être assassiné.

Peu à peu la nouvelle se confirmait et se précisait : il avait été assassiné dans sa baignoire, par une femme venue exprès de Caen pour commettre ce crime.

Certains croyaient qu’elle s’était enfuie ; mais la plupart disaient qu’elle avait été arrêtée.

Ils étaient là, tous, comme un troupeau sans berger.

Ils songeaient :

« Marat, sensible, humain, bienfaisant, Marat n’est plus là pour nous guider, lui qui ne s’est jamais trompé, qui devinait tout, qui osait tout