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LES DIEUX ONT SOIF

gardé leur caractère. Mais Évariste Gamelin croyait à la palingénésie révolutionnaire.

En quittant le parquet, il traversa la galerie du Palais et s’arrêta devant les boutiques où toutes sortes d’objets étaient exposés avec art. Il feuilleta, à l’étalage de la citoyenne Ténot, des ouvrages historiques, politiques, et philosophiques : Les Chaînes de l’Esclavage ; Essai sur le Despotisme ; Les Crimes des Reines. « À la bonne heure ! songea-t-il, ce sont des écrits républicains ! » et il demanda à la libraire si elle vendait beaucoup de ces livres-là. Elle secoua la tête :

— On ne vend que des chansons et des romans.

Et, tirant un petit volume d’un tiroir :

— Voici, ajouta-t-elle, quelque chose de bon.

Évariste lut le titre : La Religieuse en chemise.

Il trouva devant la boutique voisine Philippe Desmahis qui, superbe et tendre, parmi les eaux de senteur, les poudres et les sachets de la citoyenne Saint-Jorre, assurait la belle marchande de son amour, lui promettait de lui faire son portrait et lui demandait un moment d’entretien dans le jardin des Tuileries, le soir. Il était beau. La persuasion coulait de ses lèvres et jaillissait de ses yeux. La citoyenne Saint-Jorre l’écoutait en silence et, prête à le croire, baissait les yeux.


Pour se familiariser avec les terribles fonctions