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LES DIEUX ONT SOIF

la mode ! dit la Thévenin. On devrait s’habiller selon sa forme.

— Il n’y a de beau que les étoffes roulées sur le corps et drapées, dit Gamelin. Tout ce qui a été taillé et cousu est affreux.

Ces pensées, mieux placées dans un livre de Winckelmann que dans la bouche d’un homme qui parle à des Parisiennes, furent rejetées avec le mépris de l’indifférence.

— On fait pour l’hiver, dit Élodie, des douillettes à la laponne, en florence et en sicilienne, et des redingotes à la Zulime, à taille ronde, qui se ferment par un gilet à la turque.

— Ce sont des cache-misère, dit la Thévenin. Cela se vend tout fait. J’ai une petite couturière qui travaille comme un ange et qui n’est pas chère : je vous l’enverrai, ma chérie.

Et les paroles volaient, légères et pressées, déployant, soulevant les fins tissus, florence rayé, pékin uni, sicilienne, gaze, nankin.

Et le vieux Brotteaux, en les écoutant, songeait avec une volupté mélancolique à ces voiles d’une saison jetés sur des formes charmantes, qui durent peu d’années et renaissent éternellement comme les fleurs des champs. Et ses regards, qui allaient de ces trois jeunes femmes aux bleuets et aux coquelicots du sillon, se mouillaient de larmes souriantes.