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LES DIEUX ONT SOIF

tant à porter aide à un mortel semblable à lui par la nature et la destinée, jusque-là qu’il croit se secourir lui-même en le secourant. Je le fais encore par désœuvrement : car la vie est à ce point insipide qu’il faut s’en distraire à tout prix et que la bienfaisance est un divertissement assez fade qu’on se donne à défaut d’autres plus savoureux ; je le fais par orgueil et pour prendre avantage sur vous ; je le fais, enfin, par esprit de système et pour vous montrer de quoi un athée est capable.

— Ne vous calomniez point, monsieur, répondit le Père Longuemare. J’ai reçu de Dieu plus de grâces qu’il ne vous en a accordées jusqu’à cette heure ; mais je vaux moins que vous, et vous suis bien inférieur en mérites naturels. Permettez-moi cependant de prendre aussi sur vous un avantage. Ne me connaissant pas, vous ne pouvez m’aimer. Et moi, monsieur, sans vous connaître, je vous aime plus que moi-même : Dieu me l’ordonne.

Ayant ainsi parlé, le Père Longuemare s’agenouilla sur le carreau, et, après avoir récité ses prières, s’étendit sur sa paillasse et s’endormit paisiblement.