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LES DIEUX ONT SOIF

s’étranglait dans sa gorge, mais d’un ton résolu, déclara l’accusé coupable de trahison envers la République et un murmure approbateur, qui s’éleva dans la foule, vint caresser sa jeune vertu. L’arrêt fut lu aux flambeaux, dont la lueur livide tremblait sur les tempes creuses du condamné où l’on voyait perler la sueur. À la sortie, sur les degrés où grouillait la foule des commères encocardées, tandis qu’il entendait murmurer son nom, que les habitués du tribunal commençaient à connaître, Gamelin fut assailli par des tricoteuses qui, lui montrant le poing, réclamaient la tête de l’Autrichienne.

Le lendemain, Évariste eut à se prononcer sur le sort d’une pauvre femme, la veuve Meyrion, porteuse de pain. Elle allait par les rues poussant une petite voiture et portant, pendue à sa taille, une planchette de bois blanc à laquelle elle faisait avec son couteau des coches qui représentaient le compte des pains qu’elle avait livrés. Son gain était de huit sous par jour. Le substitut de l’accusateur public se montra d’une étrange violence à l’égard de cette malheureuse, qui avait, paraît-il, crié : « Vive le roi ! » à plusieurs reprises, tenu des propos contre-révolutionnaires dans les maisons où elle allait porter le pain de chaque jour, et trempé dans une conspiration qui avait pour