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LES DIEUX ONT SOIF

fourneau de terre ; puis, tout en préparant le dîner du religieux et de l’épicurien, il relisait Lucrèce et méditait sur la condition des hommes.

Ce sage n’était pas surpris que des êtres misérables, vains jouets des forces de la nature, se trouvassent le plus souvent dans des situations absurdes et pénibles ; mais il avait la faiblesse de croire que les révolutionnaires étaient plus méchants et plus sots que les autres hommes, en quoi il tombait dans l’idéologie. Au reste, il n’était point pessimiste et ne pensait pas que la vie fût tout à fait mauvaise. Il admirait la nature en plusieurs de ses parties, spécialement dans la mécanique céleste et dans l’amour physique, et s’accommodait des travaux de la vie en attendant le jour prochain où il ne connaîtrait plus ni craintes ni désirs.

Il coloria quelques pantins avec attention et fit une Zerline qui ressemblait à la Thévenin. Cette fille lui plaisait et son épicurisme louait l’ordre des atomes qui la composaient.

Ces soins l’occupèrent jusqu’au retour du Barnabite.

— Mon Père, fit-il en lui ouvrant la porte, je vous avais bien dit que notre repas serait maigre. Nous n’avons que des châtaignes. Encore s’en faut-il qu’elles soient bien assaisonnées.