Page:Anatole France - Les dieux ont soif.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
LES DIEUX ONT SOIF

grave personnage faire danser son pantin. L’âge, le caractère, la profession du Père Magitot ne le gardèrent point de la contagion. Alors qu’il voyait chacun occupé à faire sauter un petit homme de carton, ses doigts éprouvaient des impatiences qui lui devinrent bientôt très importunes. Un jour que pour une affaire importante, qui intéressait l’ordre tout entier, il faisait visite à Monsieur Chauvel, avocat au Parlement, avisant un pantin suspendu à la cheminée, il éprouva une terrible tentation d’en tirer la ficelle. Ce ne fut qu’au prix d’un grand effort qu’il en triompha. Mais ce désir frivole le poursuivit et ne lui laissa plus de repos. Dans ses études, dans ses méditations, dans ses prières, à l’église, dans le chapitre, au confessionnal, en chaire, il en était obsédé. Après quelques jours consumés dans un trouble affreux, il exposa ce cas extraordinaire au général de l’ordre, qui, en ce moment, se trouvait heureusement à Paris. C’était un docteur éminent et l’un des princes de l’église de Milan. Il conseilla au Père Magitot de satisfaire une envie, innocente dans son principe, importune dans ses conséquences et dont l’excès menaçait de causer dans l’âme qui en était dévorée les plus graves désordres. Sur l’avis ou, pour mieux dire, par l’ordre du général, le Père Magitot retourna chez monsieur Chauvel, qui