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LES DIEUX ONT SOIF

La pauvre mère avait retrouvé un vieux chapelet au fond d’une malle ; elle ne savait pas bien s’en servir, mais elle en occupait ses doigts tremblants. Après avoir vécu jusqu’à la vieillesse sans pratiquer sa religion, elle devenait pieuse : elle priait Dieu, toute la journée, au coin du feu, pour le salut de son enfant et de ce bon monsieur Brotteaux. Souvent Élodie l’allait voir : elles n’osaient se regarder et, l’une près de l’autre, parlaient au hasard de choses sans intérêt.

Un jour de pluviôse, quand la neige qui tombait à gros flocons obscurcissait le ciel et étouffait tous les bruits de la ville, la citoyenne Gamelin, qui était seule au logis, entendit frapper à la porte. Elle tressaillit : depuis plusieurs mois le moindre bruit la faisait frissonner. Elle ouvrit la porte. Un jeune homme de dix-huit ou vingt ans entra, son chapeau sur la tête. Il était vêtu d’un carrick vert bouteille, dont les trois collets lui couvraient la poitrine et la taille. Il portait des bottes à revers de façon anglaise. Ses cheveux châtains tombaient en boucles sur ses épaules. Il s’avança au milieu de l’atelier, comme pour recevoir tout ce que le vitrage envoyait de lumière à travers la neige, et demeura quelques instants immobile et silencieux.

Enfin, tandis que la citoyenne Gamelin le regardait interdite :