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LES DIEUX ONT SOIF

« Quelles fatigues, et combien de souffrances ont laissé leur empreinte sur son front ? Qu’il est pénible de travailler au bonheur des hommes ! À quoi songe-t-il en ce moment ? Le son de la vielle montagnarde le distrait-il du souci des affaires ? Pense-t-il qu’il a fait un pacte avec la mort et que l’heure est proche de le tenir ? Médite-t-il de rentrer en vainqueur dans ce comité de Salut public dont il s’est retiré, las d’y être tenu en échec, avec Couthon et Saint-Just, par une majorité séditieuse ? Derrière cette face impénétrable quelles espérances s’agitent ou quelles craintes ? »

Pourtant Maximilien sourit à l’enfant, lui fit d’une voix douce, avec bienveillance, quelques questions sur la vallée, la chaumière, les parents que le pauvre petit avait quittés, lui jeta une petite pièce d’argent et reprit sa promenade. Après avoir fait quelques pas, il se retourna pour appeler son chien qui, sentant le rat, montrait les dents à la marmotte hérissée.

— Brount ! Brount !

Puis il s’enfonça dans les allées sombres.

Gamelin, par respect, ne s’approcha pas du promeneur solitaire ; mais, contemplant la forme mince qui s’effaçait dans la nuit, il lui adressa cette oraison mentale :

« J’ai vu ta tristesse, Maximilien ; j’ai compris