Page:Anatole France - M. Leconte de Lisle à l’Académie française, paru dans Le Temps, 27 mars 1887.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il y eut, à côté des chevaliers, des juristes pleins de science et d’équité. L’œuvre législative du treizième siècle est admirable. Nous avons de fortes raisons de croire qu’au début de la guerre de Cent ans la condition des paysans était généralement bonne en France. La féodalité donna d’excellents résultats avant d’en produire de mauvais ; à cet égard, son histoire est celle de toutes les grandes institutions humaines. Je me garderai bien d’esquisser en quelques traits un tableau du moyen âge. Si M. Leconte de Lisle l’a fait en trente-six vers (Siècles maudits dans les Poèmes tragiques,) c’est là un de ces raccourcis audacieux qui ne sont permis qu’aux poètes. Mais, tandis que j’écris, mille images éparses de la vie de nos pères brillent et s’agitent à la fois dans mon imagination ; j’en vois de terribles et j’en vois de charmantes. Je vois de sublimes artisans qui bâtissent des cathédrales et ne disent point leur nom ; je vois des moines qui sont des sages puisqu’ils vivent cachés, un livre à la main, in angello, cum libello ; je vois des théologiens qui poursuivent, à travers les subtilités de la scolastique, un idéal supérieur ; je vois un roi et sa chevalerie conduits par une bergère.