Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/39

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vous souvient-il encore de nos longues promenades ?

Chaque jour, après le déjeuner, nous sortions ensemble ; nous gagnions les avenues désertes, les quais désolés de Javel et de Billy, la morne plaine de Grenelle, où le vent soulevait tristement la poussière. Ma petite main serrée dans sa main rugueuse, qui me rassurait, je parcourais des yeux la rude immensité des choses. Entre cette vieille femme, ce petit garçon rêveur et ces paysages mélancoliques de banlieue, il y avait des harmonies profondes. Ces arbres poudreux, ces cabarets peints en rouge, l’invalide qui passait, la cocarde à la casquette ; la marchande de gâteaux aux pommes, assise contre le parapet, à côté de ses carafes de coco bouchées avec des citrons, voilà le monde dans lequel Mme  Mathias se sentait à l’aise. Mme  Mathias était peuple.

Or, un jour d’été, comme nous longions le quai d’Orsay, je la priai de descendre sur la berge pour voir de plus près les grues décharger du sable, ce à quoi elle consentit tout de suite. Elle faisait toujours tout ce que je voulais, parce qu’elle m’aimait et que ce sentiment lui ôtait toute force. Au bord de l’eau et tenant