Page:Anatole France - Thaïs.djvu/199

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Les marchands songeaient :

— Thaïs quitte cette ville ; nous ne lui vendrons plus rien ; c’est une chose affreuse à penser. Que deviendrons-nous sans elle ? Ce moine lui a fait perdre la raison. Il nous ruine. Pourquoi le laisse-t-on faire ? À quoi servent les lois ? Il n’y a donc plus de magistrats à Alexandrie ? Cette Thaïs n’a souci ni de nous ni de nos femmes ni de nos pauvres enfants. Sa conduite est un scandale public. Il faut la contraindre à rester malgré elle dans cette ville.

Les jeunes gens songeaient de leur côté :

— Si Thaïs renonce aux jeux et à l’amour, c’en est fait de nos plus chers amusements. Elle était la gloire délicieuse, le doux honneur du théâtre. Elle faisait la joie de ceux mêmes qui ne la possédaient pas. Les femmes qu’on aimait, on les aimait en elle ; il ne se donnait pas de baisers dont elle fût tout à fait absente, car elle était la volupté des voluptés, et la seule pensée qu’elle respirait parmi nous nous excitait au plaisir.

Ainsi pensaient les jeunes hommes, et l’un d’eux, nommé Cérons, qui l’avait tenue dans ses bras, criait au rapt et blasphémait le dieu