Page:Anatole France - Thaïs.djvu/208

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riant, je possède les vérités. Il n’en a qu’une ; je les ai toutes. Je suis plus riche que lui, et n’en suis, à vrai dire, ni plus fier ni plus heureux.

Et voyant que le moine lui jetait des regards flamboyants :

— Cher Paphnuce, ne crois pas que je te trouve extrêmement ridicule, ni même tout à fait déraisonnable. Et si je compare ma vie à la tienne, je ne saurais dire laquelle est préférable en soi. Je vais tout à l’heure prendre le bain que Crobyle et Myrtale m’auront préparé, je mangerai l’aile d’un faisan du Phase, puis je lirai, pour la centième fois, quelque fable milésienne ou quelque traité de Métrodore. Toi, tu regagneras ta cellule où, t’agenouillant comme un chameau docile, tu rumineras je ne sais quelles formules d’incantation depuis longtemps mâchées et remâchées, et le soir, tu avaleras des raves sans huile. Eh bien ! très cher, en accomplissant ces actes, dissemblables quant aux apparences, nous obéirons tous deux au même sentiment, seul mobile de toutes les actions humaines ; nous rechercherons tous deux notre volupté et nous nous proposerons une fin commune : le bonheur, l’impossible