Page:Anatole France - Thaïs.djvu/252

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— Des personnes dignes de foi m’ont assuré, que depuis un an qu’il est monté sur cette colonne, notre moine ne l’a pas quittée un moment. Aristée, cela est-il possible ?

— Cela est possible à un fou et à un malade, répondit Aristée, et ce serait impossible à un homme sain de corps et d’esprit. Ne sais-tu pas, Lucius, que parfois les maladies de l’âme et du corps communiquent à ceux qui en sont affligés des pouvoirs que ne possèdent pas les hommes bien portants. Et, à vrai dire, il n’y a réellement ni bonne ni mauvaise santé. Il y a seulement des états différents des organes. À force d’étudier ce qu’on nomme les maladies, j’en suis arrivé à les considérer comme les formes nécessaires de la vie. Je prends plus de plaisir à les étudier qu’à les combattre. Il y en a qu’on ne peut observer sans admiration et qui cachent, sous un désordre apparent, des harmonies profondes, et c’est certes une belle chose qu’une fièvre quarte ! Parfois certaines affections du corps déterminent une exaltation subite des facultés de l’esprit. Tu connais Créon. Enfant, il était bègue et stupide. Mais s’étant fendu le crâne en tombant du haut d’un