Page:Anatole France - Thaïs.djvu/261

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du ciel. J’ai perdu jusqu’au discernement du nouveau-né qui pleure quand on le tire du sein de sa nourrice, du chien qui flaire la trace de son maître, de la plante qui se tourne vers le soleil. Je suis le jouet des diables. Ainsi, c’est Satan qui m’a conduit ici. Quand il me hissait sur ce faîte, la luxure et l’orgueil y montaient à mon côté. Ce n’est pas la grandeur de mes tentations qui me consterne : Antoine sur sa montagne en subit de pareilles ; et je veux bien que leurs épées transpercent ma chair sous le regard des anges. J’en suis arrivé même à chérir mes tortures, mais Dieu se tait et son silence m’étonne. Il me quitte, moi qui n’avais que lui ; il me laisse seul, dans l’horreur de son absence. Il me fuit. Je veux courir après lui. Cette pierre me brûle les pieds. Vite, partons, rattrapons Dieu.

Aussitôt il saisit l’échelle qui demeurait appuyée à la colonne, y posa les pieds et, ayant franchi un échelon, il se trouva face à face avec la tête de la bête : elle souriait étrangement. Il lui fut certain alors que ce qu’il avait pris pour le siège de son repos et de sa gloire n’était que l’instrument diabolique de