Page:Anatole France - Thaïs.djvu/289

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Debout mais foudroyé, Paphnuce ne voyait, n’entendait plus rien. Cette parole unique emplissait ses oreilles : « Thaïs va mourir ! » Une telle pensée ne lui était jamais venue. Vingt ans, il avait contemplé une tête de momie et voici que l’idée que la mort éteindrait les yeux de Thaïs l’étonnait désespérément.

« Thaïs va mourir ! » Parole incompréhensible ! « Thaïs va mourir ! » En ces trois mots, quel sens terrible et nouveau ! « Thaïs va mourir ! » Alors pourquoi le soleil, les fleurs, les ruisseaux et toute la création ? « Thaïs va mourir ! » À quoi bon l’univers ? Soudain il bondit. « La revoir, la voir encore ! » Il se mit à courir. Il ne savait où il était, ni où il allait, mais l’instinct le conduisait avec une entière certitude ; il marchait droit au Nil. Un essaim de voiles couvrait les hautes eaux du fleuve. Il sauta dans une embarcation montée par des Nubiens et là, couché à l’avant, les yeux dévorant l’espace, il cria, de douleur et de rage :

— Fou, fou que j’étais de n’avoir pas possédé Thaïs quand il en était temps encore ! Fou d’avoir cru qu’il y avait au monde autre chose qu’elle ! Ô démence ! J’ai songé à Dieu, au salut